
Podcast: Carbone 101 avec Simon Bergeron de Panorama Cycles
Simon, co-fondateur de Panorama Cycles, est ingénieur de formation et a oeuvré dans l'univers des matériaux composites pendant plus de 10 ans avant de lancer Panorama Cycles.
Il a vécu la production locale, à la fois dans l'industrie du sport et celle de l'aéronautique, ainsi que la production de masse de bien de consommation fabriqué outre-mer.
Il a récemment eu l'opportunité de discuter avec Jean-Philippe du podcast Sur Deux Roues de ses expériences passées, de ce qui a un impact sur la qualité de fabrication et des dessous de la fabrication de vélo dans l'industrie.
Intro/bio - expertise et expérience.
Ma passion pour le vélo de montagne a grandement influencé mon choix d’études. Dès l'âge de 16 ans, lorsque j'ai commencé à travailler dans une boutique de vélos, j'ai compris que mon intérêt pour l'objet (la bicyclette!) était aussi intense que mon amour pour la pratique du sport. C’est ce qui m’a naturellement poussé à faire des études en génie mécanique.
J'ai eu la chance de décrocher un stage chez Guru Bicycles pendant mon parcours universitaire. Guru était un fabricant de vélos, qui concevait et fabriquait entièrement localement ses modèles en carbone, aluminium, acier et titane. Je suis resté chez Guru tout au long de mes études, puis quelques années, jusqu’à leur fermeture. Au sein de l’entreprise, j'étais principalement chargé des tests de validation de nouveaux produits et du développement d'outils spécifiques à la fabrication de pièces composites.
Ensuite, j'ai passé plusieurs années à travailler dans le développement d’équipements sportifs, plus précisément dans la fabrication de bâtons de hockey pour CCM. Cette expérience m’a plongé dans le monde de la production en série de pièces en composites, dans des usines situées en Asie. J'ai eu l’opportunité de voyager considérablement, ce qui m’a permis de bâtir un réseau solide outre-mer.
Enfin, avant de rejoindre Panorama Cycles à temps plein, j’ai eu la chance de travailler pour Hutchinson, une entreprise qui possède une division à Montréal spécialisée dans la fabrication de pièces composites pour l’industrie aéronautique. Cette expérience m’a permis de diversifier encore mes compétences techniques et de mieux comprendre les besoins spécifiques de l'industrie aéronautique.
Est-ce que le carbone est fragile?
Une construction en fibre de carbone peut être à la fois extrêmement résistante et performante si elle est bien conçue et adaptée à l’environnement auquel elle est destinée. Au contraire, elle peut être très fragile, encore une fois selon son adaptation/conception. Trois aspects essentiels peuvent expliquer cette variation.
Tout d'abord, une mauvaise utilisation de la fibre de carbone (et peut-être la source du mythe selon lequel cette fibre est fragile) peut par exemple être la conception d'un cadre uniquement axée sur l'atteinte d’un niveau de rigidité satisfaisant, tout en minimisant le poids.
Il existe une variété de grades de fibre de carbone, chacun offrant des rigidités différentes. Imaginons une construction visant à obtenir la rigidité maximale avec le poids le plus faible possible. Dans ce cas, seuls les grades les plus élevés de fibres de carbone seraient utilisés. Cependant, une telle structure aurait assurément une résistance très faible si on la compare à un design qui utiliserait davantage de fibre, mais de grade plus faible (ces dernières offrant une plus grande résistance).
Le deuxième facteur influençant la résistance est l'orientation des fibres dans la construction. Il est important de comprendre que la fibre de carbone est un filament qui est aligné dans une direction précise lors de la fabrication de la structure. Si le concepteur du vélo aligne les fibres uniquement dans une direction, par exemple pour optimiser le transfert de puissance lors du pédalage, il est possible qu'une force ou un impact, appliqué dans une direction différente, entraîne un stress sur la structure. Cela peut provoquer une rupture du cadre, car les fibres ne sont pas orientées pour résister à cette force qui n’aurait pas été pris en compte lors du design.
Enfin, un dernier point important concerne la faiblesse générale des structures composites : la résistance interlaminaire. Lors de la fabrication des pièces en carbone, les fibres sont appliquées en couches, et c’est la matrice (souvent de l'époxy dans le cas d’un vélo) qui lie ces couches entre elles. Or, l'époxy est beaucoup plus fragile que la fibre de carbone. Un bris interlaminaire survient principalement lors d’un impact. Lorsque ce type de défaillance se produit, deux couches de carbone peuvent se séparer sans que cela soit nécessairement visible à l'œil nu. C’est en roulant, lorsque le cadre se déforme, que le bris peut se propager et devenir plus apparent.
Comment on fait un frame en carbone?
La grande majorité de l’industrie utilise de la fibre de carbone pré-imprégnée d’époxy pour fabriquer ses produits. Nous traiterons donc ici de ce procédé en lien avec ce matériau.
Des rouleaux de fibre de carbone pré-imprégnée sont d’abord déroulés sur de grandes tables de coupe, où ils sont découpés des morceaux de différentes formes destinés à la confection des sections du cadre de vélo.
Chaque morceau de fibre de carbone doit être appliqué manuellement sur un outil mâle, qui représente le volume intérieur du cadre du vélo. La qualité du préformage est une étape cruciale pour garantir une pièce de haute qualité. De plus, la précision de l'outil mâle sur lequel chaque couche de fibre de carbone est appliquée a un impact direct sur la qualité du produit fini.
Une fois le préformage terminé, l'outil de préformage est retiré et la préforme est placée dans un moule. Ce moule, une fois fermé, crée une cavité dont les parois représentent la surface extérieure du cadre. Ensuite, le moule est chauffé de manière progressive (adaptée à la chimie de la résine), et une pression est appliquée à l'intérieur de la préforme.
Ce processus de cuisson a pour but de liquéfier complètement la résine, puis d’évacuer le maximum d'air pris entre les couches de carbone, car cet air pourrait entraîner des défauts. À un certain stade de la cuisson, la résine commence à se solidifier rapidement, permettant ainsi d’obtenir la forme finale du cadre.
Une fois la cuisson terminée, la pièce peut être démoulée, et les étapes de finition (sablage, collage, peinture) peuvent alors commencer.
La différence entre un open mold et un moule propriétaire?
Les usines possèdent tous un certain lot de moule et d’outillage, dont elles sont les propriétaires. D'une part, les équipes de R&D et d'industrialisation de ces entreprises doivent effectuer des tests de développement de leur côté, et elles n'utiliseraient pas l'outillage appartenant à un client pour ce faire. D'autre part, ces entreprises manufacturières doivent également promouvoir leurs services et présenter leur savoir-faire à des clients potentiels (des marques de vélo) lors de salons professionnels et de foires de l'industrie. Pour préserver la confidentialité de leurs clients, les usines présentent souvent des cadres open mold lors de ces événements.
Cela dit, de plus en plus d'usines proposent désormais leurs cadres open mold directement aux consommateurs. Il est extrêmement difficile pour quelqu'un en dehors de l'industrie d'évaluer la qualité du design des laminés et de la fabrication de ces cadres, faute de connaître les méthodes et la rigueur de travail de l'usine. C’est un jeu de hasard lorsqu’on ne connait pas l’usine.
Une compagnie comme la nôtre possède des standards de qualité, que nous imposons à nos partenaires manufacturiers. Lors de la conception de notre outillage, nous nous assurons que les outils de préformage sont parfaitement adaptés à l'épaisseur des laminés qui seront utilisés. Nous vérifions que les laminés développés répondront aux exigences de notre produit et aux attentes de notre clientèle cible. Nous garantissons également que le niveau de qualité convenu avec l'usine est atteint.
Nous ne travaillons pas avec des usines qui vendent des cadres génériques en ligne. Nos partenaires manufacturiers collaborent exclusivement avec des marques. Selon mon expérience, les entreprises manufacturières qui travaillent avec plusieurs marques de l'industrie ont beaucoup à perdre en cas de mauvaise qualité de produit, contrairement à une usine qui vend uniquement des open mold en ligne. Un cadre de mauvaise qualité acheté sur Alibaba aura peu de répercussions sur l'usine, mais beaucoup sur le client. En revanche, les usines de qualité qui ont signé des accords avec leurs clients OEM (marques de vélo) savent que tout échec dans la production pourrait leur nuire considérablement.
On parle souvent du layup quand on parle de qualité. Comment ça fonctionne?
Le layup est la séquence à laquelle on applique les couches de fibres de carbone. Chaque couche de fibre peut avoir une épaisseur, un angle, une forme et des propriétés physiques qui lui sont propres. Le layup combiné à la forme des tubes procure les caractéristiques physiques et mécaniques du cadre en carbone. Les marques de vélos développent les layups (ou laisse son partenaire manufacturier le faire pour lui) afin d’atteindre différentes cibles (poids, rigidité, résistance, coût de production).
Concernant la philosophie de développement du layup pour les vélos Panorama, nous adoptons une approche visant à maximiser la résistance interlaminaire, qui contribue largement à la résistance globale et aux impacts.
Pour ce faire, nous privilégions l’utilisation de plusieurs couches minces plutôt qu’utiliser peu de couches épaisses. Par exemple, à un endroit spécifique, nous choisirons d’utiliser 18 couches ayant une densité massique de 70 g/m² plutôt que 9 couches de 140 g/m². Le poids final sera le même, mais la résistance sera bien supérieure, et ce pour deux raisons principales.
D’abord, les 18 couches créent 17 interfaces entre chaque couche, tandis que les 9 couches n'en créent que 8. Ces 17 interfaces augmentent considérablement la résistance interlaminaire de la structure.
Ensuite, avoir 18 couches plutôt que 9 permet une plus grande flexibilité pour varier l’angle des fibres. Avec 9 couches supplémentaires, nous pouvons couvrir une gamme d'angles plus étendue, avec des variations d'angle plus petites entre chaque couche, ce qui renforce encore la résistance globale de la structure.
L’utilisation de couches plus minces entraîne inévitablement des frais supplémentaires en matériel et en main-d’œuvre, mais la qualité et la durabilité s’en trouvent grandement améliorées.
Comment ça fonctionne un QA de bike de carbone?
La fabrication de pièces en fibre de carbone est un processus complexe, nécessitant de nombreuses étapes, intervenants et outils.
Une fois la méthode de fabrication établie, les employés formés et les outils validés, il reste essentiel de procéder à des inspections sur chacune des pièces. Une simple inspection visuelle à la sortie du moule peut permettre de détecter une pièce présentant un défaut (plis, déviations de fibres, zone riche en résine,…) souvent causé par une préforme mal réalisée.
Un autre exemple concret que je pourrais fournir, et que nous avons mis en place pour nos produits, est un contrôle qualité du procédé afin de garantir que le cycle de cuisson/pression reste stable au cours de la production. Lors de la cuisson des pièces, tandis que la résine est chauffée et devient liquide, une partie de celle-ci s’échappe du moule. Cette résine évacuée entraîne avec elle des bulles d’air, qui, si elles étaient conservées dans la structure, formeraient des porosités dans les pièces. Cette extraction de résine est essentielle pour l’obtention de pièces de qualités.
Le contrôle consiste à mesurer la quantité de résine évacuée durant la cuisson des pièces et ce, pour toutes les pièces. Cette approche nous permet de vérifier que le cycle de température et de pression a été respecté et que la pièce s’est correctement consolidée selon les paramètres établis.
Merci d’avoir pris le temps de lire cet article, et de maintenant en connaitre un peu plus sur l’expertise derrière nos produits.