La course Pan Celtic : « nous qui voyageons avons des histoires à raconter »

En 2024, notre ambassadeur Trevor Brown, le cerveau et les jambes derrière Messkit Magazine, a participé à la course d'ultra-distance Pan Celtic avec son Katahdin. Retour sur son expérience.

Mots et photos : Trevor Brown

Le claquement des cales sur le linoléum me tire d’un profond sommeil. C’est le deuxième jour de la Pan Celtic Ultra 2024, et je suis déjà épuisé. Je viens de boucler un contre-la-montre nocturne de 100 miles sur l’île de Man, sous la pluie et dans un froid glacial, avant de traverser la mer d’Irlande pendant quatre heures en ferry pour revenir à Heysham, en Angleterre. Mon dos me fait mal alors que je me redresse après avoir dormi à même le sol du ferry qui tanguait. En quelques minutes, je remets mes vêtements humides et malodorants, je fais mon sac pour quitter la chaleur du bateau. L’air salé emplit mes poumons alors que je m’apprête à poser pied à terre. Je m’en vais continuer la course alors que ma confiance est au plus bas. C’est ça, la réalité de la plupart des Ultras : faire face aux bas (et aux high), repousser ses limites émotionnelles, mentales et physiques jusqu’à la ligne d’arrivée.

Comment tout a commencé 

Lancée par Matt « Mally » Ryan en 2018, la Pan Celtic est une course ultra-distance dont l’itinéraire change chaque année, mais qui traverse toujours les nations celtiques. Pour ce cinquième et dernier chapitre de la série Pan Celtic Race, le Clan de 2024 s’est rassemblé sur l’île de Man, lieu emblématique des contre-la-montre. C’est là que tout a débuté : un contre-la-montre de 100 miles à affronter, avant de prendre un ferry pour retourner en Angleterre. De là, une grande aventure nous attendait, vers le nord, à travers le Lake District, le parc forestier de Galloway, la péninsule de Kintyre, les îles de Mull et de Skye, puis Torridon, avant de filer vers l’est pour finir à Inverness, en Écosse.

Chaque course accueille environ 250 participant·e·s, pour un parcours non-assisté de 2 000 à 2 500 km à parcourir en dix jours ou moins. Les itinéraires comprennent souvent des portions de gravier, quelques traversées en ferry, ainsi qu’une option courte et une option longue. La règle principale, énoncée par Mally lui-même, est simple : « Rouler. Se faire des ami·e·s. Passer du bon temps. Ne pas prendre la vie trop au sérieux. » Tout cela rythmé par la devise de la course : « An té a bhíónn siúlach, bíonn scéalach. » Autrement dit : « Nous qui voyageons avons des histoires à raconter. »

Cela faisait un moment que je n’avais pas participé à une Ultra, et j’avais besoin d’explorer de nouveaux territoires, de rencontrer d’autres aventurier·ère·s partageant le même esprit. J’avais suivi les éditions précédentes et je savais que l’Écosse serait au programme cette année : c’était décidé. Les landes et les vallées écossaises m’appelaient, avec en ligne de mire une série d’îles à traverser. Chaque coup de pédale serait un saut audacieux dans l’inconnu, où l’adversité se mêlerait à l’euphorie de la découverte.

Le Lake District

Après avoir quitté le ferry et écouté le discours motivant des organisateurs, nous avons eu droit à un départ en fanfare accompagné de cornemuses. L’itinéraire ensoleillé, sinueux et magnifique m’a rapidement sorti de ma mauvaise humeur et m’a transporté droit au cœur du Lake District, patrie du légendaire cycliste Fred Whitton, surnommé le « dur à cuire des lacs ». L’itinéraire de la Pan Celtic nous ferait passer par certaines des montées les plus spectaculaires — et redoutables — inscrites dans la légende du cyclisme. Avec des noms comme Kirkstone Pass, Blea Tarn, Hardknott Pass, The Struggle et Wrynose Pass, nous affrontions des pentes allant de 12 % à 33 %.

Après une nuit glaciale passée en bivouac au bord d’une route de campagne, dans l’air vif de la montagne, j’ai compris que je m’étais peut-être attaqué à un défi trop grand pour moi. Les ascensions brumeuses avant l’aube étaient d’une absurdité totale, et les descentes n’étaient guère plus simples : freins hurlants, pneus glissants, mains douloureuses à force de serrer les leviers. Heureusement, quelques lueurs d’espoir nous attendaient au sommet : les anges du sentier, offrant boissons fraîches, collations et paroles d’encouragement.

Malheureusement, le Lake District était déjà derrière moi après une longue journée passée à pédaler du lever du soleil jusqu’à tard après le coucher. Après avoir dit adieu au nord de l’Angleterre, j’atteignais enfin la frontière écossaise et le premier point de contrôle, à la fin de cette deuxième journée. Je me suis assis dans le centre communautaire avec une tasse de thé brûlant, quelques tranches de pain grillé avec de la confiture, offertes par de formidables bénévoles. Après environ 530 km, j’étais fier du chemin parcouru. Mais je savais aussi que de très longues distances m’attendaient encore.

Lutter pour avancer

Le troisième jour a commencé avec un café brûlant et encore du pain grillé. J’avais peu dormi, mais j’étais reparti à 4 h 30. Les départs très tôt et les fins de journée tardives seraient mon arme secrète pour avaler les kilomètres dans une course comme celle-ci.

Flirter avec la côte ouest de l’Écosse pendant les jours suivants allait m’offrir un répit bienvenu après les ascensions des jours précédents. Allez savoir pourquoi, je me sentais invincible ce jour-là. Forêts et champs défilaient dans un flou joyeux. Je faisais la course à coups de relais avec d’autres cyclistes, on discutait, on devenait ami·e·s. Mon seul adversaire, c’était les nuages gris menaçants.

J’avais quelques soucis techniques avec mon GPS qui plantait en plein milieu de nulle part. Heureusement, j’avais un appareil de secours pour continuer. J’ai atteint la ville côtière d’Ayr juste au moment où la pluie commençait à tomber. L’euphorie d’avoir roulé aussi vite a vite été remplacée par le froid. Je me suis arrêté pour un café chaud et un sandwich au fromage fondu pendant que j’enfilais mes vêtements de pluie. J’espérais atteindre Glasgow ce soir-là, mais la météo en avait décidé autrement. Le trajet est devenu long et glacial.

Je me suis arrêté dans un arrêt de bus de village, avec d’autres cyclistes, et j’ai commencé à chercher un endroit pour dormir et prendre une douche chaude.

Malgré le froid et la pluie, j’ai eu la chance de passer la nuit au sec dans une maison d’hôtes sur la route vers Glasgow. Devant moi s’étendaient des pistes cyclables suburbaines, qui me donneraient un peu de répit loin de la circulation. Le terrain était heureusement plat et, par endroits, un peu monotone. L’énergie de la veille s’était dissipée. Je roulais si lentement que j’avais l’impression qu’il y avait un souci avec mon vélo. En plus de cela, mon GPS faisait encore des siennes. Naviguer à l’aveugle dans les rues de la ville devenait frustrant, et je commençais à perdre patience. Je détestais être en ville à nouveau. Je rêvais de routes de campagne.

Et je savais que je devais encore rouler longtemps ce jour-là pour attraper le premier ferry du matin depuis Oban vers l’île de Mull. Finalement, j’ai retrouvé la campagne, et à chaque coup de pédale, le moral remontait.

Le paysage s’ouvrait sur des lacs et des réserves forestières. Je n’avais croisé presque aucun autre cycliste ce jour-là — sans doute mieux ainsi, vu mon humeur. J’étais en bonne position pour atteindre Oban tôt dans la soirée, tout se passait de nouveau comme sur des roulettes.

Puis, les routes de campagne bien goudronnées sont devenues des chemins de gravier. Curieusement, j’ai commencé à rouler encore plus vite. Mon vélo était dans son élément, et je n’arrivais pas à effacer ce sourire immense de mon visage. Je dépassais des groupes de cyclistes qui juraient contre l’état de la route, crevaient ou avaient des problèmes mécaniques. Moi, je me sentais comme le plus chanceux de toute la course.

Le gravier a laissé place de nouveau à la route, traversant des champs remplis de centaines de moutons bêlants, accompagnés de troupeaux de vaches des Highlands — les célèbres "heilan coos" comme on les appelle localement.

L’odeur de l’air salin qui soufflait dans les vallées verdoyantes m’indiquait que j’avais parcouru près de 300 km ce jour-là, et que je serais prêt à embarquer sur le ferry dès le lendemain matin. J’étais fatigué, mais avant cela, quelques pintes de Guinness partagées avec d’autres cyclistes étaient au programme.

Cap sur les Hébrides

Cinquième jour. Les jours suivants allaient être consacrés à un enchaînement d’îles dans les Hébrides. Le timing devenait crucial avec la série de traversées en ferry à attraper. En rater un pouvait signifier patienter quelques heures… ou jusqu’au lendemain. Les Hébrides sont réputées pour leurs changements météorologiques extrêmes, donc cette portion de la course allait être délicate — mais chaque minute de stress allait valoir la peine. Les îles et la côte ouest escarpée ne m’ont pas déçu : falaises impressionnantes, plages jonchées de rochers, routes sinueuses qui montaient et descendaient à leur guise. Les vents de l’Atlantique ont eux aussi décidé de se manifester, histoire de rendre les choses encore plus intéressantes. J’ai décidé de camper juste avant de prendre le ferry du matin pour l’île de Skye. J’ai pédalé jusqu’à l’épuisement complet et installé mon bivouac derrière un vieux mur de pierre surplombant l’océan. Je me suis endormi en regardant les mouettes planer dans la douce brise marine.

Les derniers jours avaient été un peu solitaires : je n’avais pas croisé beaucoup de participant·e·s sur la route. Curieusement, une cinquantaine d’entre nous se sont retrouvés à prendre le premier ferry vers Skye, et c’était un vrai bonheur d’échanger sur nos expériences respectives. Une fois débarqués, on s’est à nouveau dispersés, mêlés à une véritable ménagerie de voitures et de caravanes. Ce n’était pas vraiment ce à quoi je m’attendais pour une île aussi légendaire. La pluie s’est mise à tomber, rendant le trafic encore plus difficile à gérer. Après toute cette anticipation pour rejoindre Skye, je n’avais qu’une hâte : en repartir et revenir sur le continent. En fin de journée, la pluie n’avait pas cessé, et un brouillard encore plus épais s’installait sur les petites routes sinueuses. Après une montée qui semblait ne jamais finir, j’ai enfin dévalé jusqu’au débarcadère du ferry de Gleneig, le dernier ferry pivotant d’Écosse. J’étais trempé, frigorifié, épuisé et assoiffé : il me fallait un pub, alors que la lumière du jour commençait à décliner. Un autre cycliste a eu la même idée, et on a atterri dans le meilleur pub de village que j’aie jamais connu. On a commandé une Guinness et on s’est affalés sur un fauteuil près du feu. Cerise sur le gâteau : les vieux sèche-mains des toilettes étaient assez puissants pour sécher tous mes vêtements trempés et me réchauffer le cœur. C’est ce genre de petits détails qui rendent cette aventure si précieuse. On est sortis dans la nuit noire, le ventre plein et le cœur léger, à la recherche d’un endroit pour dormir. Le cimetière d’une église voisine nous a offert un peu de calme. On a déroulé nos bivouacs et sombré dans le sommeil.

Dernière ligne droite

Je me suis réveillé avant le lever du soleil et ai enfourché mon vélo. Une autre matinée brumeuse m’a guidé à travers une vallée noyée dans le brouillard, où les moutons, bien décidés à rester sur la route, constituaient le trafic matinal. J’ai filé devant des réservoirs, des forêts et de petits villages endormis. J’ai levé les yeux vers le nord-est, vers la mer, là où je savais que la ligne d’arrivée m’attendait. Je savais que la journée allait être difficile, car un des plus gros défis m’attendait : Bealach na Bà, considéré comme un graal sacré pour les cyclistes en quête de défi. Avec l’ascension la plus raide de tout le Royaume-Uni, ses virages en épingle mènent à un sommet de 2 054 pieds (625 m), promettant une vue époustouflante à qui pourra gérer les virages terrifiants de cette montée périlleuse. C’était l’un des moments forts de toute l’épreuve. Après un effort colossal, j’ai atteint le sommet pendant que des automobilistes me criaient leur admiration depuis leurs fenêtres. La descente n’était pas de tout repos non plus : il fallait esquiver les voitures et les touristes sur cette route étroite et sinueuse.

La côte, plus venteuse, m’a conduit au petit village de Shieldaig. Le soleil est enfin apparu, et un ciel d’un bleu pur s’est étendu au-dessus des terres splendides tout autour de moi. La journée touchait à sa fin, et il me fallait choisir : continuer de rouler toute la nuit pour finir les 200 km restants ou m’arrêter ici et savourer une dernière soirée au soleil couchant. Un habitant m’a suggéré un terrain de camping tout proche, avec douches chaudes et vue imprenable sur l’océan. J’étais convaincu. Mon corps aussi me suppliait de m’arrêter. Après une douche céleste, je me suis simplement allongé dans l’herbe et j’ai tout absorbé. D’autres participant·e·s sont passés, résolu·e·s à terminer sans s’arrêter. Devais-je me sentir coupable de rester ? Est-ce que je ne me poussais pas assez ? J’ai dû me rappeler pourquoi j’étais ici. J’étais venu pour la compétition, oui, mais aussi pour profiter et faire de cette aventure un souvenir inoubliable. Après presque une semaine de journées à 250-350 km, mon corps réclamait du repos. Mais en atteignant la pointe nord de la péninsule, je savais qu’en face, de l’autre côté, se trouvait Inverness.

Quand mes roues se sont mises à tourner vers l’arrivée, un sentiment mêlé m’envahit. Je ne voulais pas que ça s’arrête, et pourtant, j’avais hâte que ce soit terminé. Étonnamment, mon corps n’était pas si abîmé, juste un peu fatigué. Mais comme toujours, une pensée poignante m’a traversé : les bonnes choses, même les grandes aventures, doivent avoir une fin. Je me suis demandé pourquoi je participais à ce genre de courses. J’aime être poussé physiquement, mentalement et émotionnellement. J’adore rencontrer les gens qui participent à ces aventures et les liens qui s’y tissent. Quand je n’ai pas beaucoup de temps, c’est aussi une belle façon de découvrir un pays rapidement. Mais je n’aime pas toujours être pressé, devoir chronométrer mes repas ou rater de grands moments juste parce qu’il aurait fallu s’arrêter. Après un événement aussi intense, il me faut du temps pour digérer ce que j’ai accompli et réfléchir à ce que j’aurais pu faire autrement. Une chose est sûre pourtant : je n’ai jamais regretté d’avoir sauté dans le vide pour relever ce genre de défis.

Les détails
  • Quoi : Pan Celtic Ultra 2024
  • Où : De Douglas, Île de Man, Angleterre, jusqu’à Inverness, Écosse
  • Distance : Long parcours : 2 295 km, court parcours : 1 842 km
  • Dénivelé : Long parcours : 25 800 m, court parcours : 20 650 m
  • Mon temps à l’arrivée : 7 jours, 7 heures et 22 minutes
  • Plus d'infos : pancelticrace.com

Que prendre pour la Pan Celtic

Pour sept jours et plus de 2 000 km du Pan Celtic Ultra, voici la liste complète de tout ce que j’ai transporté sur mon vélo Katahdin de Panorama Cycles :

Sac de cadre, sac de guidon et sac de selle Ortlieb, petits pouch bags Atwater Atelier, sac de couchage ultra-léger Sea to Summit Spark, liner, sursac OR (bivvy bag), matelas gonflable Sea to Summit, gilet cargo Albion avec poche à eau de 2L, doudoune ultralégère Patagonia, jambières et manchettes en mérinos, buff, coupe-vent, rasoir Gillette, veste imperméable 7mesh, casque, casquette, musette, chaussures de vélo, gants courts et gants longs, deux maillots, deux paires de chaussettes, une paire de cuissards, lunettes de soleil, lubrifiant pour chaîne, mini-pompe, démonte-pneus, colliers de serrage, multi-outils, deux chambres à air, rustines, deux bidons d’eau, crème solaire, dentifrice, brosse à dents, crème anti-frottement, antalgiques, poudre pour boisson énergétique, cartes bancaires, passeport, iPhone, batterie externe 20 000 mAh, deux compteurs Wahoo, éclairage avant/arrière Fenix, lampes USB arrière supplémentaires avec batterie de rechange, lampe frontale Princeton Tech, câbles de recharge, adaptateur secteur/prise UK, écouteurs.