Pédaler, c’est la partie facile – Réflexions d’un cycliste d’ultra-endurance

Notre ambassadeur Cory Ostertag nous fait par de ses réflexions sur le fait de concilier cyclisme d’ultra-distance, être un père et participer à la course Cross-Washington Mountain Bike Route

Il est difficile d’imaginer un sport plus égoïste que les courses de vélos

Une activité intrinsèquement solitaire où les participants passent généralement la majorité de leur temps seuls, profondément absorbés dans un état d’extrême concentration. De plus, les règles habituelles impliquant d’être en autonomie imposent de se détacher de sa famille et de ses amis. Cette dissociation temporaire de notre vie normale est une des raisons pour lesquelles certains d’entre nous font du vélo. Dans une certaine mesure, nous utilisons les courses de bikepacking pour renoncer à nos responsabilités, nous déconnecter de la réalité et nous connecter à notre nature primitive – manger, dormir, chasser (à moins que vous n’ayez la chance d’être en tête, vous devenez alors celui qui est chassé). Mais comme je l’ai appris, renoncer à ces tâches quotidiennes pour faire du vélo devient beaucoup plus difficile lorsqu’une grande partie de votre vie consiste à être un parent et un conjoint attentif.

  • Il est de plus en plus difficile de justifier le fait de passer du temps loin de ma famille.

Julian a eu quatre ans ce printemps. Bien que son âge ne soit pas pertinent en soi, cet anniversaire a marqué une étape importante dans notre relation père-fils. Je ne suis pas un expert en développement du comportement des enfants, mais comme beaucoup de pères le savent, quatre ans correspond au moment où les enfants commencent à moins compter sur leur mère et à idolâtrer leur père comme une sorte de figure de héros. Mes centres d’intérêt ont commencé à devenir les siens, et mon toutes mes actions deviennent le centre de son attention : dès qu’il me voit faire quelque chose, Julian proclamera “Je peux faire aussi !”. En tant que vélophile, une grande partie de cette émulation se concentre sur le vélo. Soudain, la routine du nettoyage du vélo devient un moment de partage qui se termine bien souvent avec moi trempé par le tuyau d’arrosage. Entre-temps, mes vélos sont tombés dans un état de délabrement parce que je ne peux pas effectuer d’entretien rudimentaire sans que Julian ne se précipite pour m’aider. En tant qu’introverti, il a toujours été important pour moi d’avoir des moments de solitude, mais après avoir constaté l’impact de mon influence sur Julian, il m’est de plus en plus difficile de justifier le fait de passer du temps loin de ma famille. 

 

Ce printemps, j’ai eu l’occasion de participer à la Cross-Washington Bike Race, un parcours de gravel de 1165 km couvrant la distance ouest-est de l’État de Washington. Je m’étais inscrit au Grand Départ depuis un certain temps, mais à l’approche de l’événement, l’idée de laisser ma femme et Julian derrière moi me semblait honteusement égocentrique et à la limite de la négligence, étant donné que Shelby était enceinte de 36 semaines de notre deuxième enfant. Alors que je me suis toujours vanté de ma capacité à trouver un “équilibre” dans ce que je fais, il est devenu évident que ma passion pour le cyclisme d’endurance pourrait bien être inconciliable avec le besoin d’être disponible pour ma famille et impliqué dans la vie de mon fils. Parcourir 1165 kilomètres en gravel allait être difficile. Mais être loin de Shelby et de Julian pendant une semaine entière allait être bien plus difficile. Pour réussir, je devais m’assurer que je faisais cela pour les bonnes raisons.

  • Parcourir 1165 kilomètres de gravel allait être difficile. Mais être loin de Shelby et de Julian pendant une semaine entière allait être bien plus difficile.

Lorsque j’ai commencé à m’impliquer dans l’ultra-distance, je savais que je devais clairement définir mon WHY, savoir pourquoi je le faisais et quelles étaient mes principales motivations. Il est facile de confondre ces deux concepts. D’une part, le POURQUOI, ce sont les résultats générés par l’activité, que j’apprécie vraisemblablement, même s’ils ne sont souvent pas obtenus pendant l’activité elle-même mais après (le fameux ‘’type 2 fun’’). Il s’agit notamment de la forme physique, de l’aventure, de l’exploration, du défi, des Kudos sur Strava, etc. D’autre part, la motivation est ce qui m’anime tous les jours. C’est ce qui me fait avancer tout au long du processus d’entraînement en préparation de ces événements. L’une de ces motivations est d’apprendre à mieux me connaître. Comment gérer le stress, la déception, la peur et les inévitables hauts et bas émotionnels d’un long effort ? D’une certaine manière, ces aventures à vélo sont comme de petites expériences de laboratoire qui nous apprennent à mieux connaître notre propre personnalité, afin que nous puissions appliquer ces enseignements à la vie réelle. J’ai le privilège de pouvoir pratiquer à peu près n’importe quelle activité physique et j’ai opté pour l’ultra-cyclisme, un sport difficile et chronophage qui n’intéresse qu’un nombre infiniment réduit de personnes et qui n’offre aucune récompense tangible. Mais ce n’est pas grave, car cela me permet d’en apprendre d’avantage sur moi-même et de me définir en tant que personne. 

 

Cela m’amène à ma deuxième motivation principale, qui est tout simplement d’inspirer les autres. J’aime partager mes réussites et mes échecs afin d’inspirer d’autres personnes osent se lancer elles aussi. Mais je suis surtout extrêmement motivé à l’idée d’inspirer mes enfants. Je veux montrer à Julian qu’il est important d’être passionné par quelque chose, même si c’est petit ou très niché, que maîtriser une compétence est le fruit de l’énergie et du temps que l’on y consacre, et que la satisfaction peut venir aussi bien de l’échec que de la réussite.

La course cycliste Cross-Washington ne s’est pas déroulée exactement comme prévu

J’y suis allé avec l’objectif ambitieux de gagner et éventuellement de battre le record du parcours. Comme l’an dernier lors de la préparation de la BC Epic 1000, je me suis entraîné avec diligence, passant de nombreuses heures à rouler pendant un hiver sombre et misérable afin de me préparer à ce parcours difficile. Mais on ne peut jamais se préparer à l’inattendu. Mes plans de réapprovisionnement ont été réduits à néant lorsque j’ai appris que les aliments nutritifs sans gluten étaient rares dans les régions rurales de l’État de Washington. En outre, une chute précoce et les blessures qui en ont résulté m’ont obligé à prendre un peu plus de repos que d’habitude pour maintenir mon corps en état de marche. J’ai même envisagé de me rendre à l’hôpital à mi-parcours, par crainte irrationnelle de mourir d’une septicémie ou, au minimum, de devoir me faire amputer le pouce (alerte spoiler : il n’y avait pas de problème). Il ne fait aucun doute que mon cerveau privé de sommeil, combiné à la pensée de ma famille et de mon nouveau bébé en route, m’a rendue beaucoup plus réticente à prendre des risques et soucieuse de mon propre bien-être. Malgré cela, j’ai choisi de ne pas dire à ma femme que je soignais quelques blessures à l’autre bout de l’État. Enceinte de 36 semaines, elle n’avait pas besoin de ce stress supplémentaire.

Mais peu importe ce qu’il se passait, je savais qu’ils suivaient ma progression. Julian a été entraîné à suivre les courses de vélo, ce qu’on appelle ‘’dotwatcher’’, depuis l’âge de 2 ans et, en fin de compte, c’est ce qui compte le plus pour moi. Peu importe que j’établisse un record de temps, que je sois 1er, 2e, 3e, ou que je sois le dernier. Quel que soit le résultat, Julian voit l’effort et l’engagement que je mets dans la course cycliste et il partage l’excitation qui en découle. Plus je montre de l’intérêt pour le vélo, plus il semble vouloir apprendre et améliorer ses propres compétences sur deux roues.

C’est derrière ce rôle de figure paternelle que j’ai justifié les innombrables heures d’entraînement et les semaines passées loin de la famille à faire des courses d’endurance. Mais est-ce une bonne justification? Certes, j’incite mon fils à aimer un sport, mais cela ne justifie pas que je m’éclipse à 6 heures du matin en lycra alors que tout ce qu’il veut faire, c’est jouer aux legos et regarder des dessins animés avec moi.
En parallèle, j’essaie de beaucoup communiquer et d’être le plus attentif possible lorsque je planifie l’emploi du temps avec ma femme. Comme toutes les jeunes familles, nous sommes constamment en train de nous demander : qui va déposer la garderie, faire les courses ou préparer le dîner ? La plupart du temps, Shelby fait tout cela et bien plus encore. Je pensais avoir trouvé un équilibre, mais en fin de compte, je trébuche dans ce processus aux dépens de ma famille et pour mon bénéfice personnel. C’est irréconciliable. C’est un point c’est tout.

C’est la partie la plus difficile de l’ultra-distance. Pédaler est la partie la plus facile.

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Cory Ostertag : Compte Instagram 

Crédits photos : Dylan Davies (@shredordead) et Cory Ostertag

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